Cette période traditionnelle des vœux m’offre l’occasion de m’adresser à vous directement pour la troisième fois depuis le printemps dernier pour faire un point sur l’avancement des travaux de la mission du Centenaire à la veille de cette année qui sera le point de départ de la grande dynamique mémorielle que nous appelons de nos vœux.
Les événements qui la jalonneront et la porteront devront puiser leur énergie et leur raison d’être au cœur même de la Nation, dans nos territoires, de l’avant comme de l’arrière, et devront être bien plus qu’une longue succession d’initiatives parisiennes.
Le Centenaire, c’est vous, c’est nous, tous les Français qui souhaitent saisir cette grande opportunité de réflexion historique et de pédagogie civique. Je forme le vœu que dans un contexte que nous savons tous difficile, nous en soyons bien plus que de simples spectateurs mais bien les acteurs convaincus et infatigables.
Vous avez un rôle essentiel à jouer dans ce cycle mémoriel et je vous sais gré de vous y être investis résolument.
Je remercie également tous ceux d’entre vous qui nous ont marqué leur confiance en faisant un don ou en incitant d’autres à le faire*. C’est une façon parmi d’autres de signifier, de façon tangible, son soutien aux nombreux porteurs de projets labellisés par la Mission. 1 000 l’ont été à l’automne, 350 d’entre eux recevront une subvention au cours des prochains jours. Une seconde vague de labellisations aura lieu avant le printemps et deux vagues de subventions sont d’ores et déjà planifiées.
Je compte sur vous pour continuer à relayer inlassablement notre action en expliquant une fois encore et toujours le pourquoi de ces commémorations. Je vous joins le texte d’une brève intervention** faite à Reims en octobre qui me semble assez bien y répondre et vous invite à consulter régulièrement le site « Centenaire.org » qui propose désormais un agenda actualisé des événements marquants du Centenaire au fur et à mesure de l’enrichissement du programme remis au Président de la République le 7 novembre dernier.
En souvenir de tous ceux et de toutes celles dont la vie a basculé, il y a un siècle, dans un long tunnel de 52 mois de souffrances , je forme le vœu que ces commémorations soient l’occasion de rassembler les Français autour des valeurs toujours très actuelles de cohésion et de fierté nationales, de détermination dans l’adversité et d’espoir dans notre avenir.
Meilleurs vœux à tous.
Général d’armée (2S) Elrick IRASTORZA
Président du conseil d’administration du groupement d’intérêt public (GIP)
« Mission du centenaire de la Grande Guerre 1914-2014 »
Les
dons, libellés à l’ordre de la Fondation de France – Fonds du
Centenaire, peuvent être adressés à la Mission du Centenaire, 109
boulevard Malesherbes, 75008 Paris ou directement à la Fondation de
France, 40 avenue Foch 75008 Paris.
Reims
05 octobre 2013
Dans une dizaine de mois, le 14 juillet 2014, en mettant à profit ce grand rendez-vous désormais traditionnel des Français avec leur histoire, nous entrerons vraiment en commémoration du Centenaire de la Grande Guerre.
Dans une dizaine de mois, notre fête nationale aura un peu des allures de veillée d’armes et d’ici là, avant de nous souvenir ensemble d’une mobilisation générale sans précédent, il conviendra de mobiliser les esprits de tous ceux qui voudront, chez nous comme à l’étranger, comprendre comment et pourquoi on a pu en arriver à une telle tragédie.
Ce ne sera pas aussi simple qu’on veut bien l’imaginer car, par les temps qui courent, beaucoup se demandent si n’avons-nous pas plus urgent à faire que de procéder à la énième commémoration de ce premier conflit mondial, fût-elle la centième ? Pourquoi revenir, une fois encore, sur ces douloureux événements alors qu’il n’y a plus un seul survivant de l’enfer des tranchées ? Pourquoi revenir sur cet embrasement dantesque et cette boucherie alors que nous nous employons chaque jour à construire une Europe meilleure dans un monde plus stable ? Pourquoi dépenser à se souvenir de l’argent qui serait plus utile à préparer l’avenir ? »
Cette interrogation ne peut être évacuée d’un revers de main et la première réponse qui vient à l’esprit c’est que les peuples ont toujours ressenti le besoin de se remémorer les grandes ruptures de leur histoire, pour glorifier ou accabler ceux qui en furent les acteurs, et surtout s’efforcer d’en tirer des enseignements sans cesse renouvelés, des certitudes parfois, des espoirs nouveaux bien souvent. La révolution de 1789 est le premier exemple qui vient à l’esprit. Nous en avons commémoré le centenaire puis le bicentenaire.
Les peuples se souviennent aussi, qu’on le veuille ou non, des épreuves qu’ils ont traversées, non pas par morbidité mais là encore pour nourrir leur réflexion, au moment des choix qui engagent leur avenir. Or si la Grande guerre,apparut, une fois terminée comme une incontestable rupture, elle fut avant tout une longue épreuve de cinquante-deux mois, d’abord pour ces millions de soldats confrontés à la violence des combats et aux transgressions qui peuvent faire de l’homme une vraie bête sauvage, et une épreuve toute aussi rude pour toutes ces familles disloquées par le deuil ou traumatisée par le retour du père ou du fils mutilé. Le clairon de l’armistice ne mit pas fin à l’épreuve et la reconstruction des corps meurtris et des âmes brisées ne fut pas plus facile que celle des régions dévastées.
Et c’est bien parce qu’elle a chamboulé la carte du monde et entraîné des bouleversements sociétaux allant bien au-delà d’un affrontement humainement dévorant et de ses effroyables conséquences statistiques, que la Grande Guerre est une de ces ruptures et de ces épreuves que le temps n’effacera pas de sitôt. Qui n’a pas le souvenir du grand père racontant avec ses mots à lui, les interminables attentes immobiles et angoissées sous un déluge de feu et d’acier, l’exaltation de l’esprit et la peur viscérale précédant l’assaut mais aussi la camaraderie qui aidait à supporter l’insupportable, derniers lambeaux d’humanité dans un monde inhumain ? Qui ne se souvient pas de ces douilles de 75 patiemment sculptées trônant fièrement sur la cheminée ? Qui ne se souvient pas de ces diplômes au ton sépia accrochés au mur et prônant les valeurs d’honneur, de droit, de civilisation et de gloire, et de ces médailles gagnée de haute lutte à Verdun, sur la Somme ou en Champagne, qui faisaient définitivement d’un vieil homme n’en tirant pourtant aucune vanité, un héros du roman national ! Qui n’a pas au fond d’un tiroir ou dans une boite, au grenier, quelques rescapées des 6 à 7 milliards de lettres et cartes écrites durant ces angoissants mois de séparation.
La Grande guerre est donc indiscutablement constitutive de notre mémoire collective et ce centenaire nous offre l’opportunité de la raviver en en faisant une grand moment de « réflexion historique et de pédagogie civique » pour reprendre les mots de Stéphane Audouin-Rouzeau et d’Annette Becker.
Depuis la disparition des derniers poilus, il n’y a plus que les témoignages de leurs descendants directs, les écrits, les photographies, les films, la pierre, la terre, les musées et les plis de nos drapeaux et étendards, pour témoigner de ce que fut ce titanesque affrontement. Mais cette mémoire couve toujours sous la cendre. En attestent ces centaines de milliers de visiteurs français et étrangers qui parcourent chaque année, en famille, entre amis ou dans le cadre d’activités scolaires ou périscolaires , ce qui fut un long charnier encore mal cicatrisé de 700 kilomètres courant de l’embouchure de l’Yser au Sundgau : un soldat français tué tous les cinquante centimètres ce n’est pas rien ! Ces visiteurs ne sont pas venus là simplement pour prendre l’air mais pour comprendre pourquoi et comment des hommes en sont arrivés à un tel déchaînement de violence industrialisée et pour honorer dans le silence poignant des nécropoles la mémoire de tous les soldats emportés par cette « effusion sanglante ».
Car nous ne sommes pas les seuls à avoir souffert. Près de 10 millions de soldats tués, presque autant de civils. Sur 100 soldats tués, 14 étaient français, 20 étaient allemands et 66 venaient du reste du monde. Que près de 6 600 000 soldats appartenant à d’autres nations aient été engloutis par les combats, chez nous et dans d’autres pays, atteste du caractère manifestement mondial d’un conflit qu’il ne faut pas ramener au seul face à face franco-allemande. Pour tous les pays entraînés dans cette tourmente par le jeu des alliances et l’engrenage des événements, cette guerre aura été une épreuve toute aussi douloureuse que pour nous.
Durant plus de quatre ans, la France sera ainsi la destination privilégiée de tous ceux qui auront à cœur de se souvenir en venant rechercher chez nous les traces de l’engagement de leurs aïeux. Cet intérêt pour notre pays sera un puissant moteur de notoriété internationale et de développement économique bien au-delà des seuls territoires du champ de bataille. Somme-nous prêts ?
Sous l’impulsion de l’État et de la Mission du Centenaire et avec l’appui des collectivités locales sans lesquelles rien ne pourrait se faire et celui de nos mécènes, une grande dynamique mémorielle est en marche qui ne demandera qu’à s’exprimer en allant bien au-delà des cérémonies officielles tirées au cordeau, à travers une première vague de plus d’un millier de projets commémoratifs, culturels, pédagogiques, scientifiques, touristiques et numériques labellisés mais aussi de toutes les autres initiatives en cours de gestation. La rentrée littéraire littéraire y contribue déjà.
Parce qu’elle a connu les grandes peurs de l’invasion, la stupeur des bombardements qui ont incendié la cathédrale, décapité l’ange au sourire puis ravagé la ville et l’angoisse, cinquante mois durant, du retour d’un envahisseur retranché à moins de 2 kilomètres, Reims s’est une fois encore impliquée en première ligne. Ville martyre mais aussi ville de la réconciliation, elle occupera dans ce cycle une place particulière. Ville d’accueil, elle saura enfin recevoir avec chaleur et dans un esprit d’amitié constructif, tous ceux qui viendront chez nous se souvenir des leurs, bien convaincus que se souvenir, c’est aussi préparer l’avenir !
Mais ces commémorations devront être aussi une opportunité d’affirmer notre fierté d’être Français, de réaffirmer notre solidarité internationale et de consolider la nécessaire fraternité entre les peuples en dépassant les clivages politiques exacerbés par les difficultés du moment.
Il est évident qu’à l’occasion de ce Centenaire des sensibilités différentes ne manqueront pas de s’exprimer, nous renvoyant à des antagonismes qui existaient déjà bien avant le conflit, se sont estompés pendant pour finalement renaître et perdurer depuis sous une forme ou sous une autre, mais je forme le vœu que ce cycle mémoriel nous rassemble autour d’une mémoire aujourd’hui apaisée et surtout constructive.
Vous me permettrez de terminer par ces quelques mots de Maurice Genevoix prononcés en 1968 au pied des fantômes de Landowski et qui prennent désormais une résonance particulière depuis la disparition du dernier poilu.
« Vous étiez là mes camarades. C’est pour vous et pour vous tous que je parle. Vous êtes là comme au premier jour. Et vous voyez : votre pays se souvient avec vous. Il sait qu’il faut vous respecter, vous remercier, vous entourer et vous croire. L’Histoire de France a besoin de vous. »
45 ans plus tard, l’Histoire de France a toujours besoin de Ceux et de Celles de 14 mais elle aussi besoin de vous, de nous tous.
Général d’armée (2S) Elrick IRASTORZA