Par le Colonel François Chauvancy qui s’exprime en son nom propre
Tout en diminuant leurs effectifs année après année, les forces armées françaises sont engagées mois après mois dans les opérations les plus diverses depuis 2001 : contre-insurrection en Afghanistan, guerre aéromaritime en Libye, guerre aéroterrestre en zone désertique au Mali, restauration de l’ordre en république centrafricaine, contre-terrorisme en Somalie, contribution à la sécurité intérieure en métropole ou en Guyane, formation des armées locales au titre de l’assistance militaire opérationnelle en Somalie, en Afghanistan et au Mali, guerre maritime contre la piraterie.
Ces missions les plus diverses, sans cesse renouvelées, dans des conditions naturellement imprévues ont-elles contribué à la transformation des armées à leur bénéfice, ou cette transformation n’est-elle que le résultat d’un choix budgétaire ? De même, le Politique, la Nation ont-ils aussi reçu un juste retour sur cet investissement dans le recours aux forces armées ? Question ardue qui mériterait sans doute un livre à elle seule mais qu’il paraît utile d’exposer rapidement dans le contexte actuel.
Ce qu’attend le Politique comme retour de son investissement dans l’Armée.
Ce qu’attend le Politique est sans aucun doute une capacité à montrer concrètement sa détermination à défendre un intérêt général même en recourant à la force légitime. Savoir utiliser l’Armée à bon escient est un moyen de peser sur les décisions de la communauté internationale, d’affirmer une autonomie de décision en fonction des intérêts de la France. Une force militaire crédible reste donc un facteur clé de la souveraineté même si tous les Etats de l’Union européenne sont loin de partager ce sentiment à la différence du reste du Monde.
Aujourd’hui, ce juste retour au profit du Politique semble acquis. Agir à l’extérieur peut permettre aussi de gagner du temps lorsque les difficultés internes sont fortes. Cependant, une forte tension interne ne pourra être compensée par une action extérieure volontariste notamment face au coût d’une guerre ou face à une crise intérieure grave. Ainsi, l’effet positif des engagements militaires s’est avéré temporaire durant les conflits depuis 2008.
Cette réalité conduit à une première question : disposer d’une force militaire complète reste-t-il (restera-t-il) un facteur de la puissance d’un Etat au XXIe siècle ? Le retour sur investissement peut-il être alors apprécié positivement ?
Ce qu’attend la Nation comme retour de son investissement dans l’Armée.
Ce qu’attend la Nation est d’abord que l’Armée protège la population, le pays, les institutions en cas de crise. La population française comprend en effet difficilement que les soldats français meurent pour des causes lointaines et peu convaincantes au premier abord, qu’ensuite le budget de la défense relativement important ne contribue pas directement à sa protection et à celle du territoire d’une manière visible.
Cependant, la perception générale est que les valeurs transmises par l’Armée restent des références pour la société civile. Le débat récurrent sur la suspension du service militaire en est un signe. Il n’est donc pas évident aujourd’hui que la Nation ait le sentiment d’un juste retour de son investissement dans la défense, sinon dans son Armée.
Cette situation conduit à une deuxième question : quelle est la mission prioritaire que la Nation veut donner à son armée : protection, intervention, dissuasion, autre ?
Ce qu’attend l’Armée comme retour de son investissement au titre de ses engagements militaires.
Ce qu’attend enfin l’Armée est qu’elle soit mieux reconnue au sein de la Nation, que la chaîne de commandement soit respectée par le Politique dans ses responsabilités et dans ses attributions, qu’elle soit écoutée, que les moyens lui soient donnés pour des missions identifiées avec clarté. En outre l’engagement militaire sous toutes ses formes nécessite la confiance du Politique d’une part, la confiance de la Nation d’autre part. En effet, les guerres sont d’une durée incertaine et, de fait, plutôt de longue durée. Ce soutien s’avère donc indispensable et sans faille.
Ensuite l’Armée de la République, issue du peuple, sert d’abord le peuple dont un gouvernement n’en est l’expression que pour une durée limitée suite à une élection. L’Armée représente la pérennité de la Nation malgré les régimes politiques. Ceux-ci vivent et meurent. L’Armée demeure. Lors des crises majeures, elle crée ce repère vers lequel chacun se tourne pour se rassurer et être protégé, mission essentielle d’une Armée nationale.
Le retour d’investissement de l’Armée dans sa mission régalienne appelle donc la reconnaissance de la Nation : hommage aux morts et aux blessés, respect du statut militaire, une condition militaire décente et juste, une association aux décisions qui l’engage aujourd’hui et surtout dans le futur. Le retour sur investissement de ses engagements militaires, malgré ses succès, n’est donc pas totalement avéré aujourd’hui pour l’Armée.
Une troisième question apparaît : quelle sera la place future de l’Armée dans nos institutions après les réformes ?
Pour conclure
Les engagements de l’Armée ont-ils finalement été productifs ou contre-productifs pour chacun des acteurs évoqués ? Ne serait-ce que le chant du cygne des armées conventionnelles tel qu’on le lit sous quelques plumes ? Quelques réflexions peuvent cependant éclairer notre réflexion.
- Un retour d’investissement positif et visible pour la Nation serait sans aucun doute de confier un nouveau rôle social à l’Armée, seule institution qui permet de donner du sens à l’engagement collectif notamment par l’effort et par la prise de risque. L’Armée reste un moule pour le jeune citoyen volontaire. Elle donne une dimension supérieure à la citoyenneté.
- Un retour d’investissement positif pour le Politique est certes un meilleur rendement militaire du budget consenti mais aussi l’existence d’une force organisée, à forte cohésion, neutre politiquement, non syndiquée et loyale aux institutions, quel que soit le gouvernement en place.
- Un retour d’investissement positif pour l’Armée est enfin une reconnaissance affirmée au sein des institutions. Elle est la garante confirmée de la pérennité des institutions et de la République grâce à son sens de l’intérêt général et de l’engagement de servir de ses cadres et de ses soldats.
Pour conclure, faut-il encore rappeler Machiavel dans « L’art de la guerre », « les républiques se conservent plus longtemps armées que sans armes ». A méditer.